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Mathieu Bisson, Marlyne Fontaine, Mathilde Bisson et Arnaud Denis: des acteurs au jeu savoureux. Crédits photo : Photo Lot

Bien que le mot « sérieux » sonne moins agréablement que celui de « constant » à mon oreille wildienne, je comprends toutefois l’idée de multiplier les sens, proposée par Jean Marie BESSET. Les critiques sont quasi unanimes : cette adaptation est un régal, une réussite sur tous points et le succès est total !
Certes les adaptations de cette célèbre pièce -qui se jouait alors que Wilde perdait son procès- sont considérables : elle est montée presque chaque année depuis sa création, et dans le monde entier…


Voici la critique intéressante du Figaro.fr d’Armelle Héliot :


« Il y a plusieurs façons de traduire le titre de l’une des plus célèbres comédies du grand auteur qu’est Oscar Wilde. The Importance of Being Earnest est un jeu de mots qui a toujours avivé l’esprit des traducteurs: «Constant» est le plus courant, mais Anouilh avait choisi «Aimé». Voici que Jean-Marie Besset, lecteur scrupuleux, préfère «sérieux»… On perd un prénom pour une précision de sens… Dans le texte établi par le directeur du Théâtre des 13 Vents, centre dramatique de Montpellier, on peut dire que l’allégresse spirituelle et caustique d’un Sacha Guitry est tressée à une rigueur, une lucidité presque sévère digne de La Rochefoucauld.

C’est l’un des grands intérêts de la production. Dans des décors qui permettent une belle liberté de mouvement, des costumes dans le ton de l’époque (la pièce fut créée en 1895 à Londres), Gilbert Désveaux, qui signe la mise en scène, s’appuie sur une distribution de qualité. Évidemment, avec ce chef-d’œuvre, une tradition s’est installée: un homme incarne Lady Bracknell. Ici, c’est le délicieux Claude Aufaure qui est naturellement bon et il donne une autorité et une malice à la Jacqueline Maillan à cette maîtresse femme! Et en révérend Chasuble, il est aussi très bien.

L’intrigue repose sur les deux couples: deux garçons dont l’un, Jack (Mathieu Bisson, très bien), s’invente un frère, servant ses déplacements en ville et l’autre, Algernon (irrésistible Arnaud Denis) endosse cette identité imaginaire ; deux jeunes filles, Gwendolen (la charmante Marilyne Fontaine), Cecily (craquante Mathilde Bisson) qui rêvent d’épouser un «Earnest», un garçon sérieux, et c’est justement le prénom du fantôme… On savoure le jeu enlevé et précis des interprètes qu’il faut tous louer. Ils ont trouvé exactement le juste ton… »

L’Importance d’être sérieux. Théâtre Montparnasse31, rue de la Gaîté (XIVe). Tél.:01 43 22 77 74. Horaires:20 h 30 du mar. au sam., dim. à 15 h 30. P laces: de 18 à 48 €. Durée: 1 h 45. . Jusqu’en juillet.

Courez-y !

Lou FERREIRA

wilde 7

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salomé de levy dhurmer 1896

Salome et Iokanaan (Levy-Dhurmer, 1896)

Je reviendrai très vite à la philosophie, mais je perds tellement de temps à bavarder stérilement sur Hegel et Platon avec nombre de mes élèves, que je veux ici, rappeler les travaux plus sérieux des uns et des autres. Ou leur clin d’oeil d’esthète que je manque rarement…

Regardez ce joli site sur l’esprit fin-de siècle et les décadents :

http://www.lettres-et-arts.net/histoire_litteraire_19_21_emes_siecles/127-salome_oscar_wilde

On s’y distrait un temps pour se souvenir encore et encore de la danse fin-de vie de la belle Salomé wildienne.
Ou de la danse macabre de Gautier ! Quelle vitalité cette littérature-là justement !

D’ailleurs, connaissiez-vous l’ouvrage de Frank PIEROBON : http://www.demandezleprogramme.be/La-tragedie-du-regard ?

pierobon

Ce brillant philosophe et dramaturge a été membre de mon jury de thèse en 2011. Exigeant , fascinant et mordant à souhait !

A très vite pour vos actualités et mon prochain Salon Littéraire fin Février !

Lou FERREIRA

Aubrey Vincent BEARDSLEY - Herodias et Salomé

Evidemment : Aubrey BEARDSLEY « Hérodias et Salomé »

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Thomas CHIMES - Oscar Wilde

Thomas CHIMES . Oscar Wilde.

Chers Amis, après un Salon Littéraire où le beau et la bonne humeur avaient leur place comme souvent, je reviens vers Oscar Wilde pour vous rappeler que le metteur-en scène Grégoire Couette JOURDAIN, nous propose sa création de « La ballade de la geôle de Reading  » dès le 30 JANVIER 2013 !

Voici le lien qu’il vous faut absolument consulter pour toutes les informations utiles, tout comme les critiques qui ont très souvent salué la performance de Jean-Paul AUDRAIN :
http://theatredelours.typepad.fr/

A très bientôt évidemment !

LOU FERREIRA

Georges Stein - Boulevard Parisien

Georges Stein . Boulevard Parisien.

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La Maison Bürgel, litographie fin du 19ème siècle.

Chers Amis,

S’il y a bien un historien qui mérite toute notre attention, c’est bien Christophe Charle et ses nombreuses études sur la société au XIXème siècle. Je vous propose un aperçu à travers le contexte des ambitions wildiennes. En plus clair, en situant les motivations de Wilde dans son époque, j’ai pu apercevoir toute la richesse des œuvres de Charle parce qu’il permet de saisir aisément ce qui fonde certaines décisions artistiques et littéraires.

Voici au moins deux ouvrages fondamentaux à toujours conserver dans votre bibliothèque ! :

Histoire sociale de la france au 19eme siècle

Et :

Les intellectuels en Europe au 19ème siècle –

Il me semble que pour commencer à mieux saisir ce contexte dans lequel naisse les oeuvres critiques, il faut se souvenir de quelques faits importants pour les intellectuels de l’époque, et d’ici sur Oscar Wilde :
Trois points peuvent être suggérés :
Le premier nous arrête sur l’Angleterre qui, dès 1819, impose des taxes sur la presse pour limiter considérablement la contagion des idées subversives et l’influence du modèle révolutionnaire français sur les classes populaires anglaises. Un des principaux responsable de cette contre-offensive intellectuelle est le philosophe Burke, qui rédige ses Réflexions sur la révolution de France en 1790.
Il insiste sur la méfiance qui s’impose quant à l’enthousiasme en faveur de la révolution française (un nombre croissant d’intellectuels sont visés ; Hegel, Fichte, Hölderlin, Schelling, Rousseau ou Kant) .

Ce qui leur est reproché, c’est l’esprit « destructeur » qui vise à saper le socle religieux et incite à fonder des groupuscules partisans qui serviraient leur esprit « révolutionnaire ». Les conséquences de ces manifestations traverseront tout le 19ème siècle, et en Angleterre, dès 1843, l’abolition du Liscensing Act a –par exemple- deux conséquences sur les représentations théâtrales : 1) seuls deux théâtres sont autorisés à mettre en scène des pièces dramatiques, 2) elle contraint ainsi la plupart des auteurs à n’écrire que des divertissements. Nous évoquons ces auteurs parce qu’ils ont influencé le jeune Wilde, et parce que le dramaturge qu’il deviendra, tiendra compte –dans une certaine mesure – des difficultés à contourner dans une Angleterre qui cumule idéologiquement tout ce contre quoi il va se détourner ou devra affronter.

Les dégustateurs, le musée des rieurs, lithographie couleur, XIXème.

Le second, met en lumière la personnalité du jeune Shelley qui confirmera une direction de pensée chère à Wilde. Il s’agit de l’inspiration et de sa force de conviction sur toute une génération d’hommes de lettres. (Oscar Wilde le citera dans nombre de ses œuvres, et cela est significatif). En effet, contre Coleridge qui, après Burke, cherche à instaurer une nouvelle fonction plus conservatrice des intellectuels, le jeune Shelley qui appartient à la société privilégiée, se rebelle très tôt contre la violence éducative (châtiments corporels dont il a lui-même eu à souffrir au collège d’Eton) et sur les mœurs rétrogrades dont le religieux ne se défait pas. Ces convictions le font quitter Oxford, et organiser un programme politique et religieux, républicain et tolérant. Le christianisme, tel qu’il est établi, est, selon lui, une hypocrisie absolue. Il ne faut donc compter que sur la solidarité des grands hommes dont la préoccupation est le progrès de l’humanité.

Comprendre les influences de Wilde, c’est tenir compte de certains faits plus secondaires en apparence : en 1812, Shelley se rend à Dublin où il rédige pour une partie du peuple irlandais son Address to the Irish people ; un écrit qui reconnaît la légitimité des réclamations des catholiques irlandais. Wilde se sent solidaire d’une partie de ces revendications,
mais les convictions les plus fermes de Shelley demeurent liées à la Révolution française. Certes, les effets de la Terreur sont à éviter, mais pour cela, il faut éduquer le peuple. Les abus peuvent ainsi être évités et des réformes sont possibles avec le travail et la coopération des penseurs, qui en seraient des législateurs.

Shelley meurt jeune, en 1822 mais après lui, de nombreux intellectuels mettront leur plume au service de cette cause démocratique. Dont Wilde.

Estampe de Félix Benoist, lithographie de Charpentier, XIXème.

Christophe Charle est précis dans ses recherches : entre les intellectuels plus engagés qu’il classe dans les « messies » -tels que les humanitaristes, les saint-simonismes ou les fouriéristes- et les intellectuels dont l’hommage à l’artiste et au poète est central, il y a une délicate conciliation. Chacune de ces deux formations intellectuelles a le désir commun de rester individualiste, sans pour autant fermer les yeux sur la pauvreté de leurs congénères. Oscar Wilde sera sensible aux deux, mais ses principaux objectifs relèveront nettement de la seconde catégorie d’intellectuels, ceux qui ont le pouvoir, ou la possibilité d’éduquer le peuple au Beau et à l’Art pour le réconcilier avec le monde et leur propre individualité.

Une autre force intellectuelle est pourtant à prendre en considération. Ce sont les jeunes hégéliens, -comme Feuerbach, Bruno Bauer ou Karl Marx- qui ont suivi les cours de Hegel et ses disciples. Mais ils sont ce que Charle nomme la « gauche hégélienne » influencés par les utopistes français, les anarchistes et les communistes (ce qui, en Allemagne leur confère une situation politique peu confortable). Ils souhaitent refondre le système politique dans son intégralité, et veulent s’adresser à l’humanité entière. Le plus actif et le plus productif d’entre eux, Karl Marx, critique l’empirisme des libéraux anglais et des socialistes français, tout en fustigeant la modération des idéologues comme Stirner et Proudhon.

Proudhon.

Si Oscar Wilde ne cite pas précisément ces derniers intellectuels, nous savons que dans son essai Les origines de la critique historique, dans l’âme de l’homme sous le socialisme, ou dans sa pièce de théâtre Véra ou les Nihilistes, l’influence de Hegel, des jeunes hégéliens et des révolutionnaires français et russes marqueront définitivement le jeune Irlandais. L’effervescence spirituelle est à son comble mais régulièrement, Wilde considèrera que seule la France sera capable de proposer un cadre littéraire à la hauteur de ses aspirations.
Lorsque sa pièce Salomé est censurée en 1892 au motif qu’un personnage biblique ne peut être représenté sur scène, il souhaite la naturalisation française et précise :

« Puisqu’il est impossible de faire représenter une œuvre d’Art en Angleterre, je vais me transférer dans une autre patrie dont je suis depuis longtemps amoureux. Il n’y en a pas d’autre voyez-vous, et Paris, c’est la France. C’est le refuge des artistes ; mieux, c’est la ville artiste. (…) Ici, les gens sont essentiellement anti-artistes et étroits d’esprit »

Si Wilde demeure un étranger comme nous l’avons envisagé, Christophe Charle a raison de souligner que le courant de L’Art pour l’Art sera peu à peu contesté par la critique littéraire, lassée par ses invectives qu’elle jugera inutile et immorale. Mais en 1854 lorsque naît Oscar Wilde, cette esthétique a encore de beaux jours devant elle…

Lou Ferreira

Histoire culturelle de la France au XIXème siècle.

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Brummel. Image extraite du site / blog : acoeuretacris.centerblog.net

Chers Amis, ce ne sont pas les définitions sur le dandysme et sur les dandies qui nous font défaut, mais des surdéterminations qu’il vous faudra déconstruire pour en extraire la définition qui vous sied le mieux. Je veux dire celle qui, à vos yeux aujourd’hui, correspond à votre désir d’être unique ou d’apprécier l’unicité masquée en vous.

Pour reprendre une formule qui me plait chez Monsieur Jean D’Ormesson, et que je réutilise avec mes propres termes : ce n’est pas l’habit du dandy qui fait l’être du dandy, mais c’est l’être du dandy qui fait de lui un Autre, l’Unique.

C. Baudelaire.

On peut être pauvre, non aristocrate, ce n’est pas ce qui glorifie assurément le dandy d’emblée, c’est une posture d’abord : une révolte indicible, intérieure qui nous donne envie de fuir à jamais la banalité d’une pensée, d’une action, et d’une toilette. Et si j’aime Oscar Wilde, c’est parce que j’ai toujours eu la sensation que son goût immodéré pour le beau ne s’accompagnait pas de mépris pour les basses classes qui ne pouvaient pas accéder à son style de vie et de pensée.
Relisez  » L’âme de l’homme sous le socialisme  » au même moment où il publie « Le portrait de Dorian Gray », sa générosité d’âme n’est en rien incompatible avec sa vision du dandysme…
Il est au-dessus d’une suffisance que je côtoie régulièrement chez nombre d’individus, et qui se donnent une apparence de profondeur esthétique.
Vous me direz, c’est déjà ça.

Lou.F

Je vous propose deux définitions : celle-ci sur  » Qu’est-ce que le dandy ? » :

etudes_metapo_plv_dandy.html

Et celle-ci sur Le dandysme dans « le traité de la vie élégante » :

0402.pdf

Pour ceux et celles qui ne connaitraient pas encore le site des « nouveaux dandys », je vous propose leur lien fort utile quant aux ouvrages -en particulier- et à la beauté de sa conception en général :

dans-son-excellente-%C3%A9tude-intitul%C3%A9e-la-vie-%C3%A9l%C3%A9gante-ou-la-formation-du-tout-paris-1815-1848-anne-martin-fugier-consacre.html

Belle soirée à vous tous et à demain !

LOU FERREIRA

Photo extraite du site / blog : mors-rosae.over-blog.com

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« Etre un enfant illégitime était une condition très simple en comparaison de celle dans laquelle nous nous trouvions. (…) Nous avions su ce que c’était qu’avoir un père fêté et admiré, et l’obligation maintenant de le renier et d’enfouir au fond de notre cœur jusqu’à son existence constituait, pour des enfants, un terrible fardeau à porter. »

Propos de Vyvyan Holland. (1)

Pascal Aquien pose la difficulté du nom de Wilde avec justesse : Pour présenter « De Profundis », il précise que ce texte, est aussi celui de la :

« consolidation du Moi après l’épreuve de la prison. (…) Wilde vise à récréer une image de lui-même que l’expérience carcérale à détruite ou mise à mal. (…) Par le truchement de l’autobiographie, il peut se reconstruire et redonner corps à son nom momentanément effacé. (L’homme Oscar Wilde, n’était plus que le prisonnier C.3.3) » (2)

Un nom. Retrouver son nom, tout ce qu’il symbolisait pour Wilde, mais l’être, l’essence même de ce nom que la prison a réduit à un corps, Michel Foucault l’a décrit : on ne touche plus au corps « en public », certes, mais ce sont de toute façon des châtiments qui visent le corps et atteignent l’âme, donc l’identité du prisonnier. Or la « chance » de Wilde est que même en prison, tout le monde le connaît. Sa gloire passée le préserve de l’anonymat absolu qui est la mort de l’être, dans de nombreux cas. Lorsque nous nous permettons de préciser qu’il a eu de la « chance », c’est parce qu’il a pu aussi bénéficier d’encre et de papier pour réécrire une partie des souvenirs, et évacuer momentanément le désespoir et la rage qui auraient déstructuré nombre de codétenus.
Mais cela n’en demeure pas moins un châtiment d’une violence inouïe. Si nous avons posé en exergue le souvenir de Vyvyan, c’est parce que le rejet de la femme d’Oscar Wilde et de ses fils, dans tous les lieux où ils se rendaient dès la fin du procès, les contraignaient à changer de nom : Holland. Ce nom est celui de la femme de Wilde et Vyvyan le portera avec fierté jusqu’au bout de lui en 1967.

Cependant rien n’efface le fait que le nom du père a été banni, bafoué, humilié et qu’il était impossible de le porter si les proches de Wilde voulaient survivre en paix. Nous aurions pu mettre en bas de page un détail de même importance, mais il faut se rendre compte que des décennies après la mort de Wilde, ce nom semblait devoir être enterré avec son auteur. Définitivement. Il aura fallu attendre 1963 pour que sur la tombe de la jeune femme Constance Lloyd –décédée avant son époux en 1898- on inscrive enfin : « épouse d’Oscar Wilde ».

Constance Lloyd , épouse d’Oscar Wilde

Sous le nom de crimes et de délits, on s’attaque en fait aux passions, aux instincts, et des familles entières, qui n’ont pas le temps de comprendre les mécanismes utilisés par le juridique, pour ignorer l’existence et l’identité de tous les êtres que l’on juge, ne peuvent, dans ce cas précis réaliser à long terme, ce que signifie, avoir été l’épouse et les enfants d’Oscar Wilde. Ils étaient assimilés à ce que les puritains considéraient comme « sale » et déshonorant et cela ne se discutait pas.
Pour beaucoup de prisonniers, le problème est aussi grave, nous ne l’ignorons pas. Mais avoir été de la famille d’Oscar Wilde, c’était plus compliqué. Vyvyan Holland raconte dans ses mémoires à quel point le silence était un devoir autour cette « affaire » et qu’aucune question ne devait être posée clairement, ou alors développée. C’est ainsi que le fils cadet de Wilde n’apprit qu’à l’approche de ses 20 ans, les motifs qui avaient conduit son père en prison.

Ses souvenirs à ce sujet sont éprouvants : lorsque son père meurt en novembre 1900, Vyvyan est âgé de treize ans. On le convoque pour lui annoncer en termes neutres que son père vient de décéder. Le jeune adolescent ne put jamais réellement faire son deuil : son père lui a été retiré alors qu’il n’était qu’un enfant, ensuite il doit changer de nom sans en comprendre les raisons, puis ce père disparaît et il doit se taire. Ce n’est qu’en 1949 que son épouse lui conseille de poser et d’imposer enfin son identité dans un livre troublant.

Que l’on nous pardonne ce passage biographique –que de meilleurs biographes auraient pu évoquer avec force détails significatifs-. Ce n’est pas de notre ressort. Mais il fallait au moins rappeler de quelles manières, les méthodes pénales tuent ce qui constitue l’essence d’un être dès sa naissance : son nom et son prénom. Il y a non seulement eu le scandale Wilde, mais il a été accompagné d’un anéantissement identitaire paternel et marital, auquel il a fallu faire face pendant des décennies. Et nous ne pensons pas que Merlin Holland, fils de Vyvyan Holland soit allégé de cette peine.
En excluant le nom de Wilde, on excluait son œuvre, sa gloire, son âme, avec un numéro : C.3.3. Pourtant, c’est avec ce numéro impersonnel que Wilde put vendre sans problème son œuvre ultime et une des plus belles : « La ballade de la geôle de Reading. » C’est là que le problème de l’identité en soi, ne s’annule pas complètement. C.3.3 dès 1898 signifiait Oscar Wilde. C’était un secret pour peu de monde, mais un monde déjà restreint.

Cela dit, où est le rapport que Sartre rappelle au subjectif ? Comment être certain que l’imagination représentant l’absent, est bien cet absent ? Il n’ y a peut-être qu’un seul choix : se souvenir de ce qu’il préférait, de ce qu’il était, de ce qu’il représentait et de ce qu’il a bousculé. Avec le nom de Wilde, il était possible de repenser ses rêves, de relire ses textes comme des testaments pour que l’homme en soi, l’être-en soi et l’être-pour soi apparaissent plus « vivants ». La qualité de Wilde se révèle alors dans un « il y a vers l’être Wilde ». Autrement dit, « qu’il existe une nouvelle teneur métaphysique de toute révélation de l’être ». Et de ce fait, tout ce qui contribue à l’anéantissement du nom de Wilde doit être combattu, c’est-à-dire qu’aucune passivité (de la part du fils de Wilde et de ses descendants, des éditeurs, des amis écrivains…) ne doit affecter personne au sens où il faut réaliser qu’il existe un contre- pouvoir en face (politique, social, juridique) et que l’être et le nom de Wilde (qui en est sa représentation), doit être arraché d’une néantisation qui le guette.

Le nom de Wilde est une problématique d’ordre ontologique. L’être préréflexif existe avant la décision arbitraire d’un tribunal, et avant la volonté puritaine de creuser la tombe du nom d’une famille sans aucun état d’âme, pourvu que leurs mœurs soient protégées d’un nom « Sali ». L’absence du nom de Wilde, est le phénomène qui renvoie aux multiples apparitions et significations qui, du coup, pose sa présence. Il faut alors que ce soit des projets qui prennent vie, et qu’avec son œuvre et les souvenirs de tous, (les plus précis possibles), on relie le passé qui avait un nom, au futur qui le reniait, pour dominer un nom éternellement présent. Wilde en tant que nom de père, d’époux, et Wilde en tant qu’artiste et esthète.

Le nom de Wilde n’est pas par essence la personne qu’elle est uniquement, cela est une conception limitée de la valeur d’un nom. Celui de Wilde est intimement re-lié à des parents, une communauté, des enfants, une œuvre, un mouvement littéraire etc. Il est impossible d’envisager qu’il y ait eu de nombreux combats pour le simple fait de se réapproprier un nom propre rappelant la personne elle-même. D’ailleurs, cela n’a pas été fait –jusqu’à nos dernières sources- : Merlin Holland, petit-fils d’Oscar Wilde a préféré conserver le nom de Holland en hommage à son père et sa grand-mère, mais cela n’a pas été incompatible avec sa volonté de lutter contre les mensonges qui se multiplient quotidiennement autour du « mythe » Wilde. Ni de se battre pour la réhabilitation d’Oscar Wilde .

Entre le nom de Wilde et le mythe de Wilde, il existe une autre incarnation qui n’est pas l’auteur sur lequel nous réfléchissons depuis le commencement. Le mythe Wilde s’apparente à un être christique, et de cela également, il faudra raccourcir l’ampleur des espoirs et des illusions qui trahissent un nom.
Le nom de Wilde était : Oscar Fingal O’ Flahertie Wills Wilde, et lui seul avait le droit de le raccourcir avec son humour non teinté de quelque prétention, mais signe d’une immense détermination. Ainsi, comme le rappelle Merlin Holland :

« Wilde fut plutôt gêné par cette pléthore de prénom, avant d’en faire un sujet de fierté à l’université. (Citant son grand-père, Merlin Holland poursuit) : « A mesure que l’on devient célèbre, on en écarte quelques uns, exactement comme un voyageur qui se déplace en ballon, lâche du lest pour monter plus haut….J’ai déjà jeté par-dessus bord deux de mes cinq noms. Bientôt j’en enlèverai un autre et l’on me reconnaîtra tout simplement sous le nom de « The Wilde » ou « The Oscar »

« The Wilde » : L’Etre hors du commun qui justifierait l’article défini, comme on dirait « Le Christ », ou Le « Prince ». L’Unique en soi. Celui que l’on ne confond avec personne et dont on se souvient pour longtemps, ou pour toujours. C’était le désir de Wilde, mais il va, paradoxalement, en se « punissant » d’être unique, le devenir vraiment. Wilde a usé de cela, mais il se considérait seul juge de sa vie, et sa « mission » s’apparentait à celle d’un Stirner qui a opéré une vraie critique sur sa destination intellectuelle, en dehors de tout assujettissement, pour que son être ne soit pas une supposition, une hypothèse, mais l’Etre posé là devant nous et dont le nom seul soit signifier l’ampleur du contenu de ce qu’il est et ce qu’il combat.
Oscar Wilde décide, choisit, s’autorise. Même dans l’errance à Paris, il choisit un autre nom : Sébastien Melmoth pour ne pas être reconnu par le propriétaire de l’hôtel d’Alsace où il finira ses jours, de peur qu’on le rejette, comme ce fut le cas de nombreuses fois, surtout à Dieppe dès sa sortie de prison. Ce n’est pas Oscar Wilde qui rejette son identité, ce sont ceux qui l’attachent à la perversité et au souvenir du procès.

Le propriétaire Dupoirier (de l’hôtel parisien), avait deviné –non pas la véritable identité de son locataire-, mais sa générosité fut si impressionnante (il accepta les dettes de Wilde jusqu’à la fin de son séjour à l’hôtel), pressentant ainsi, que ce devait être quelqu’un d’unique. Le propriétaire avait regardé Wilde, il avait compris sans aucun élément de réponse que « The Wilde » était un locataire maître de lui malgré sa fatigue et surtout sa discrétion, qui visiblement n’était pas uniquement celle d’un être ordinairement bien élevé.
Il ne jouait pas à être The Wilde comme le dit Sartre, il était responsable de son être, et s’est toujours constitué comme fondement de lui-même, qu’il a rejoint avec tout son sens et sa résistance.
Le nom de Wilde est ainsi et avant tout, attaché à un engagement profond de valeurs éthiques et esthétiques qu’aucun pseudonyme, ni même un numéro n’effacent aisément, mais se rattachent inévitablement au nom de Wilde, comme une évidence.

LOU FERREIRA

(1) Vyvyan Wilde, fils d’Oscar Wilde, Paris, Flammarion, 1949, p.113
(2) Oscar Wilde, Présentation P. Aquien, in « Œuvres » Op, cit, p.1335

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Chers Amis, l’auteur que je tiens absolument à vous présenter ce jour, est incontestablement l’interprète et le traducteur le plus précis des œuvres d’Oscar Wilde en France (au moins).

Le titre de mon article est une évidence : il signifie non seulement que les réflexions de Pascal Aquien permettent d’élucider le sens et les significations multiples de nombreuses œuvres wildiennes (de par ses analyses littéraires conjuguées au philosophique et à ses traductions), mais tout autant de poser et proposer un éclairage sur les mœurs et la vie d’Oscar Wilde en se basant sur ce que le poète lui-même s’efforçait à peine de masquer au quotidien.
Pascal Aquien présente l’être, le dire et nécessairement le faire de Wilde parce qu’il joue de sa propre lucidité dans les intentions stylistiques et métaphoriques de Wilde. Ou plus précisément, il propose (ici), un éclairage sur les jeux de mots, de sens et le « ballet » d’un langage wildien dans des provocations esthétiques et éthiques constantes.

Vous allez pouvoir prendre du bon temps et lire cet article qu’il a eu la délicatesse de me transmettre : il nous révèle, au travers de quelques pièces de théâtre (surtout), comment Oscar Wilde a mis à nu la complexité des genres et l’insoutenable perplexité du sexuel quand il faut le taire.

Bonne lecture à tous !

Lou Ferreira
(les titres en caractère gras sont ceux de Pascal Aquien)

Photo : Pascal Aquien -avec son aimable autorisation-.

ARTICLE DE PASCAL AQUIEN :

Les comédies d’Oscar Wilde, ou le gay savoir (Atala 13, 2010: 91-105).

L’œuvre de Wilde – théâtre, fiction, essais – fait l’objet de nombreuses études qui mettent l’accent sur le mode de fonctionnement du langage . Porté et dynamisé par ce que le dramaturge a appelé, à propos d’Un mari idéal (1895), « la cadence des mots en mouvement » (The Sketch, 1895) , le langage wildien s’apparente à un ballet, avec ses pas de deux, ses entrechats et, surtout, ses pointes. L’objet de cet article, cependant, est autre puisqu’il y sera question de la basse continue sous-jacente aux quatre « comédies de société » , c’est-à-dire de la présence d’une vérité biographique fondamentale et structurante : l’homosexualité de l’écrivain. Celle-ci se manifeste de diverses manières, qui toujours soulignent l’existence d’un désir autre, d’une vérité qui bouscule les frontières convenues. Une première question se pose néanmoins : pourquoi disséminer dans son texte autant d’indices personnels ? Pour au moins deux raisons : la première est idéologique. Pour Wilde, le monde est fait de masques ; aussi, par jeu, aime-t-il à les arborer et, par esprit de subversion, à jeter le doute : et si rien, dans le monde social et surtout dans sa désignation, ne correspondait à l’apparence affichée ? La seconde raison est poétique : l’écrivain fait travailler le langage et révèle que les signes sont des malles à double fond. Une autre question est de comprendre comment il procède. On peut là encore avancer deux réponses. D’une part, il inscrit en filigrane dans le corps du texte diverses réalités affectant sa vie (le secret et le chantage), d’autre part, il redéfinit les genres, le masculin et le féminin faisant, dans son théâtre, l’objet d’une réévaluation qui les dissocie en partie des stéréotypes auxquels ils sont ordinairement liés, comme la maîtrise chez l’homme et l’émotion chez la femme. Cela est rendu possible par le regard oblique et joyeusement critique de Wilde, marié et homosexuel, et jamais dupe des apparences.

Vent de panique chez les Windermere

(image extraite du site / blog : lapasserellemontreal.com )

Le sujet de L’Éventail de lady Windermere (1893) est la découverte, faite par une dame du monde, de la supposée infidélité de son mari et, partant, de sa vie sexuelle clandestine. La prétendue maîtresse (dont on apprendra plus tard qu’elle est la mère de la jeune lady) est une certaine Mrs Erlynne, plus âgée que les époux Windermere, et douée d’un pouvoir dont pour l’instant rien n’est dit. Le mystère et le silence qui entourent cette relation ont un parfum de chantage : lady Windermere découvre que son mari verse des sommes d’argent importantes à la supposée rivale, fait qui rappelle la vie privée de Wilde, ses relations secrètes avec des domestiques et des garçons de passe, et avec les maîtres chanteurs à qui il avait fréquemment affaire.
Une crise ne tarde pas à intervenir. Celle-ci est déclenchée par lord Windermere. Son exigence ? Que sa femme reçoive chez elle Mrs Erlynne (dont elle continue à croire qu’elle est sa maîtresse), exhortation peu éloignée des pratiques de Wilde. Il invitait chez lui ses amants, Robert Ross, Alfred Douglas et bien d’autres, et sa femme, Constance, n’avait qu’à feindre de ne rien comprendre. Il avait certes conscience de ce qu’il lui imposait, comme en témoignent ces propos, à résonances autobiographiques, adressés par lord Darlington à lady Windermere pour lui dépeindre ce qu’il adviendra d’elle si elle ne se résout pas à quitter son mari :
« Vous auriez le sentiment qu’il vous ment à tout instant. Vous auriez le sentiment que son regard est faux, que ses caresses sont fausses et que sa passion est fausse. Il viendrait vous retrouver quand il se serait lassé des autres. Vous seriez obligée de le réconforter. Il viendrait vous retrouver alors qu’il ne penserait qu’aux autres. Vous seriez obligée de le séduire. Vous seriez obligée d’être le masque de sa vraie vie, le manteau qui dissimule son secret « .

« Le masque de sa vraie vie », « le manteau qui dissimule son secret » étaient ce qu’incarnait en partie Constance pour Wilde, qui savait toutefois qu’il pourrait toujours revenir vers elle (« Il viendrait vous retrouver ») lorsque, épuisé par les sollicitations des uns et des autres, et les dépenses entraînées, il la retrouvait, patiente et indulgente ; et toujours elle le rassurait (« le réconforter ») en lui renouvelant sa confiance. Il est cependant significatif que, peu de temps avant de composer L’Éventail de lady Windermere, Wilde avait commencé à rédiger une pièce, qu’il ne termina jamais, intitulée La Tragédie d’une femme mariée (A Wife’s Tragedy). Le personnage principal, Gerald Lovel, attend de la vie de plus flamboyants plaisirs que la grise quiétude domestique : « Être consumé par une flamme, voilà le secret de la vie . » Le secret, justement. Cela n’empêche pas Gerald de ne pas renoncer, tout comme Wilde, à son mariage, et, à un ami surpris qu’il supporte de telles contradictions, le jeune homme répond, cynique : « La vie est telle une vaste mer tempétueuse. Ma femme est mon port d’attache et mon refuge . » Mais aux abris et aux amarres, les marins préfèrent toujours l’océan houleux, malgré ses dangers et ses gouffres, ou à cause d’eux.
D’autres passages ont trait à la vie privée de Wilde, comme ce constat désabusé et transparent de lady Windermere : « J’ai entendu dire qu’il n’y a pour ainsi dire aucun homme marié à Londres qui ne sacrifie sa vie à quelque honteuse passion . » Le mot clé est « honteuse » (« shameful »), immédiatement intelligible pour tous ceux qui, mariés et homosexuels, se dissimulaient comme ils le pouvaient. Il est révélateur que ce même terme, plus exactement le substantif « honte » (« shame »), apparût six mois plus tard dans le cinquième vers de « Deux amours » (1894), sonnet composé par lord Alfred Douglas, jeune amant de Wilde, (« son nom est Honte/ Mais moi, je suis Amour ») dont les derniers mots sont souvent et abusivement attribués à l’auteur du Portrait de Dorian Gray : « Je suis l’amour qui n’ose pas dire son nom ». L’amour qui, certes, n’ose pas dire son nom, mais auquel l’écrivain ne peut s’empêcher de faire allusion : « Mon fils est excessivement immoral, s’écrie la duchesse de Berwick. Vous ne croiriez jamais à quelle heure il rentre à la maison. Et cela ne fait que quelques mois qu’il a quitté Oxford. Je n’ai vraiment pas la moindre idée de ce qu’on peut bien leur apprendre là-bas . » Peu importe ce qu’on enseignait à Oxford puisque les garçons que connaissait Wilde préféraient y jouer, entre eux, aux jeux du sexe et du hasard. Enfin, de qui s’agit-il au juste dans cette remarque de la duchesse ? De son fils ou de lord Alfred Douglas, tout juste sorti de l’université sans diplôme, et sans cesse parti en quête de nouvelles aventures sexuelles ? La réponse est dans la question.

Les grandes manœuvres

(image extraite du site / blog : roxaneandcendrillon.bloguez.com )

L’intrigue d’Une femme sans importance (1894), repose sur le jeune Gerald Arbuthnot, employé de banque vivant avec sa mère, dont il croit qu’elle est veuve, alors qu’elle n’a en fait jamais été mariée. Gerald fait une rencontre qui bouleverse sa vie : un certain lord Illingworth, dandy brillant, se prend d’amitié pour lui (la suite révélera qu’il est son père, ce que tous deux ignorent) et lui propose de devenir son secrétaire particulier. Les raisons qu’allègue Illingworth sont plus affectives, voire sexuelles, qu’intellectuelles ou professionnelles, comme il l’avoue au garçon ébloui : « C’est parce que je vous aime tant que je désire vous avoir auprès de moi . » « Je vous aime tant », « je désire vous avoir auprès de moi » ne sont pas les termes ordinaires d’un contrat d’embauche, et Wilde en disait long avec ce qui sonne comme une déclaration amoureuse adressée à un jeune homme. Il en fit l’aveu à Herbert Beerbohm Tree, qui interprétait le rôle – « À vrai dire, si vous êtes capable de supporter cette vérité, [lord Illingworth] n’est autre que moi-même ! » – ce qui incita le comédien à incarner le personnage en imitant la voix de l’écrivain. Conscient de tout ce qui se murmurait dans son dos, Wilde lui fait en outre tenir des propos qui sont autant d’indices sur lui-même : « Le but de la vie, pour peu qu’elle en ait un, est seulement de toujours partir en quête de nouvelles tentations. Il n’y en a jamais assez. Il m’arrive de passer une journée entière sans en rencontrer une seule . » Prenant un risque supplémentaire, dans une première version de la pièce, il attribuait la question suivante à Mrs Allonby qui interrogeait Illingworth sur ses relations avec Gerald : « Vous prenez un tel plaisir en compagnie de vos disciples ! Quel est donc leur charme ? », provoquant la réplique suivante : « Le jeune Arbuthnot n’est pas un disciple … pas encore . » Tout est dit dans le « pas encore » final, qui espère une résolution sexuellement concluante, et dans le choix du mot « disciple », employé par Wilde pour décrire les jeunes gens dont il aimait à s’entourer.

Rien de ces sous-entendus n’échappait aux amis de l’écrivain et à certains de ses admirateurs ultérieurs. Lytton Strachey, qui assista à une représentation de la pièce en 1907, s’empressa de décrire ses impressions à Duncan Grant, homosexuel comme lui. Que voyait-il dans cette intrigue ? Un « salmigondis des plus étrange » (« the queerest mixture »), formule significative dont l’adjectif (« queer ») renforcé par sa forme superlative est éloquent. Strachey choisissait à dessein ce mot, utilisé pour la première fois au début du XXe siècle pour désigner les hommes homosexuels. Et de résumer ainsi l’intrigue :
Un lord très vicieux, qui séjourne dans un manoir à la campagne, a décidé de baiser [« bugger »] l’un des invités, un beau jeune homme âgé d’une vingtaine d’années. Le beau jeune homme est ravi. Quand sa mère entre en scène, elle voit Milord et le reconnaît pour avoir copulé [« copulated »] avec lui vingt ans plus tôt, avec pour résultat, le beau jeune homme. Elle le supplie de ne pas baiser son fils et il lui répond que c’est une raison supplémentaire pour le faire (oh, c’est un lord vraiment très vicieux !).

Malicieux et sexuellement explicite, Strachey est l’un des premiers à avoir perçu ce que le public victorien, aveuglé par tant d’évidence, comprenait encore fort mal.

Valses de Vienne

La dimension autobiographique d’Un mari idéal (1895) n’est pas moins patente. Wilde confia même à ses amis Charles Shannon et Charles Ricketts, deux artistes qui vivaient en couple à Chelsea, que la pièce contenait « de très nombreux traits du véritable Oscar ». L’intrigue s’organise autour de sir Robert Chiltern, sous-secrétaire aux Affaires étrangères et étoile montante du Parti Libéral, et de sa femme Gertrude, « une femme grave à la beauté grecque », « grave » et « grecque » étant des adjectifs qu’employait Oscar pour qualifier Constance à l’époque de leurs fiançailles. Tout irait pour le mieux si Chiltern n’avait pas bâti sa fortune sur une infamie – vingt ans plus tôt, alors qu’il était sans le sou, il avait vendu un secret d’État à un aristocrate autrichien, le baron Arnheim. Celui-ci, de même que le gouvernement britannique d’alors, avait des intérêts dans le canal de Suez, et le succès de l’entreprise lui permit de bâtir une fortune colossale.
Chiltern fut bien sûr très généreusement récompensé par le baron. Par malheur, une lettre de lui alors adressée à Arnheim est tombée entre les mains d’une intrigante, Mrs Cheveley, maîtresse du baron maintenant décédé, de retour à Londres après avoir longtemps séjourné à Vienne. Celle-ci compte s’en servir pour faire chanter Chiltern et l’obliger à appuyer à la Chambre un projet, considéré par tous comme frauduleux, dans lequel elle a, à son tour, de très vastes intérêts financiers. S’il refuse, la lettre parviendra immédiatement à la presse. Mrs Cheveley, qui sait faire valser les réputations, se délecte à l’avance des conséquences de cette révélation :
Pensez à leur joie immonde, au plaisir qu’ils prendraient à vous traîner à terre, au bourbier et au cloaque où ils vous enfonceraient. Songez à l’hypocrite au sourire mielleux en train de rédiger son éditorial et de concocter son infâme dénonciation publique .

Et de l’avertir : « Et votre scandale à vous est particulièrement peu reluisant. Vous ne sauriez y survivre . » Des lettres compromettantes, Wilde en avait beaucoup écrit et la description des malheurs à venir de Chiltern préfigure avec une clairvoyante précision le désastre qui s’abattra sur lui à l’issue de son procès pour homosexualité. Par ailleurs, l’une des grandes questions sans cesse posées dans la pièce est celle de savoir ce qui est moral et immoral, en des termes qui vont au-delà de l’évaluation de malversations financières. Lorsque sir Robert parle de sa faute passée, il la décrit comme « mon secret et ma honte », termes qui connotent le poids accablant d’une vérité alors inavouable. Le sous-texte homosexuel explique aussi que Chiltern, lors d’une conversation avec lord Goring, évoque de la façon suivante la « tentation », et le « courage », et non point la faiblesse, d’y céder, courage d’exister en dépit des regards et des interdits sociaux :
Je peux vous dire qu’il existe de terribles tentations qui exigent de la force, de la force et du courage, pour y céder. Mettre en jeu toute sa vie pour un seul moment, tout risquer d’un seul coup, que l’enjeu soit le pouvoir ou le plaisir, peu importe, il n’y a là nulle faiblesse. Il y a plutôt un courage terrible et effrayant. Ce courage, je l’ai eu .

En fin de compte, Gertrude pardonnera à son mari. Tout comme Constance pardonna à Oscar : loin de l’abandonner après ses deux années de travaux forcés, elle l’aidera. En somme, une épouse idéale.

Sous l’influence d’Uranus

Cette année 1895 fut féconde : Wilde triompha avec L’Importance d’être constant, un peu plus d’un mois après la première, non moins brillante, d’Un mari idéal. Cette pièce se démarque des autres comédies en ce qu’elle ne s’intéresse pas à des thèmes sociaux ou éthiques. Pourtant, le regard porté sur les individus y est d’une acuité plus vive encore. Qu’y trouve-t-on ? Des femmes manipulatrices qui ne songent qu’à une chose : se marier, si possible avec un homme riche, telle lady Bracknell, moins grande dame qu’on ne croit puisque l’on apprend que, sans le sou et issue de nulle part, elle est parvenue à épouser un aristocrate sans grande personnalité. Les héros ne sont pas moins intéressés : Jack, sans famille, souhaite épouser la riche Gwendolen et Algernon, toujours endetté, la non moins fortunée Cecily ; comme dans le théâtre de la Restauration, celui de William Congreve par exemple, matrimony devrait plutôt s’écrire matrimoney.
Il n’est guère étonnant, dans ces conditions, que le mariage, qui n’est qu’un contrat, soit traité avec légèreté, puisque les sentiments n’y prennent guère de part (quand Jack annonce à Algernon qu’il s’est rendu à Londres pour se déclarer auprès de Gwendolen, celui-ci lui répond : « Je pensais que tu étais venu pour le plaisir ! Moi, j’appelle ça un voyage d’affaires »). Il n’est pas surprenant non plus que les hommes, en quête de délices vagabonds plus que de devoirs conjugaux, mènent une double vie : Jack est Ernest Worthing à Londres, et Algernon prétend s’occuper, à la campagne, d’un ami invalide, évidemment imaginaire, nommé Bunbury : « bury » comme « ensevelir » ou « dissimuler » ce que l’on ne veut, à aucun prix, révéler, c’est-à-dire son goût pour des pratiques sexuelles alors illicites (« bum » [derrière, arrière-train] plutôt que « bun » [petit pain] ?). Algernon tient tant à cette relation, ou à cette aubaine, qu’il lance à Jack :
Rien ne saurait me convaincre de me séparer de Bunbury, et si jamais tu te maries, ce dont je doute fort, tu seras ravi de faire sa connaissance. Quiconque se marie sans connaître Bunbury se prépare une existence bien morne .

Il est difficile d’être plus explicite, la connotation sexuelle du nom « Bunbury » ayant été confirmée à l’aide d’une autre étymologie, une vingtaine d’années plus tard, par Aleister Crowley :
Bunbury est un mot-valise qui mêle Banbury et Sunbury. L’auteur en question [Wilde], qui venait de monter en toute hâte dans un train arrêté en gare de Banbury, trouva le compartiment occupé par un collégien venu d’une public school des environs. Ils entamèrent une conversation et se donnèrent ensuite rendez-vous à Sunbury. D’où le mot Bunbury et sa signification. Et notre auteur se mit alors à multiplier les absences inexpliquées … .

Les choses se précisent un peu plus loin quand, à propos de Bunbury, Algernon annonce à lady Bracknell qu’il est arrivé un malheur à son ami (il ne sait comment se défaire de cette fiction qui finit par l’embarrasser) en expliquant qu’il a « explosé ». Bien sûr, lady Bracknell prend l’information au pied de la lettre :
Il a explosé ! A-t-il été victime d’un attentat révolutionnaire ? J’ignorais que M. Bunbury s’intéressât aux lois sociales [« social legislation »] S’il en est ainsi, le voilà bien puni pour sa morbidité [« morbidity »] .

« Morbidity » était un terme utilisé pour décrire les relations sexuelles entre hommes, alors considérées comme un comportement pathologique. Wilde, lui-même, dans la lettre qu’il envoya de sa prison pour demander une réduction de peine, qui ne lui fut pas accordée, parlait à propos de son homosexualité de « passions morbides » (« morbid passions ») , et le poète « uranien » (de l’allemand « Urning », terme forgé par Karl Heinrich Ulrichs en 1864 pour désigner un homme homosexuel, et immédiatement traduit en anglais par « uranist ») John Moray Stuart-Young publia en 1905 un volume de poèmes associant l’uranisme à la « morbidité », intitulé L’Amour d’un Uranien : étude poétique de la morbidité (An Urning’s Love. Being a Poetic Study of Morbidity). Quant aux mots « social legislation », ils désignaient, selon Neil McKenna , un mouvement dont l’un des objectifs était de réformer – positivement – les relations sexuelles entre hommes, autrement dit de dépénaliser l’homosexualité.
Ce n’est pas tout. Le titre même de la pièce (The Importance of Being Earnest) et le choix de l’adjectif « Earnest » (« sérieux ») et du prénom Ernest, se lisent comme un jeu de mots sur « Uranist ».
Cela éclaire les intentions de Wilde qui, d’une pirouette verbale, associait insolemment le sérieux victorien à l’homosexualité. Il connaissait par ailleurs un recueil de poésie uranienne publié en 1892 par John Gambril Nicholson, et intitulé Un amour ardent (Love in Earnest) où il est question de la passion d’un homme pour un adolescent ; l’un des poèmes, « Des noms de garçons » (« Of Boys’ Names »), y contient le vers suivant qui vient clore une énumération de prénoms masculins : « Mais c’est Ernest qui enflamme mon cœur . » Les détails de l’intrigue de la comédie font également sens : l’épisode de l’étui à cigarettes de Jack est une plaisanterie pour initiés (Wilde offrait des étuis en argent aux garçons qu’il fréquentait). À Londres, Jack séjourne à l’Albany, immeuble alors réservé à de riches hommes célibataires, et dans une première version de la pièce, l’adresse était E. 4 The Albany, c’est-à-dire celle, précise, de George Ives, ami de Wilde et fondateur en 1893 de l’Ordre de Chéronée, société secrète homosexuelle. Un autre de ses proches, John Bloxam, auteur d’une nouvelle « Le Prêtre et l’acolyte » (1894), qui dépeint la passion amoureuse d’un homme d’église pour son servant, apparaît sous le nom – identique à une lettre près – de lady Bloxham, c’est-à-dire sous l’identité et dans le costume d’une femme : le travestissement et l’attribution de noms féminins, en particulier chez les prostitués, était une pratique assez courante.

Enfin, l’avoué Gribsby a pour partenaire un certain Parker (qui est aussi le nom d’un domestique dans L’Éventail de lady Windermere), inspiré par le nom d’un garçon de passe âgé de dix-neuf ans (Charles Parker) que Wilde fréquentait ; celui-ci avait été arrêté dans un club spécialisé le 12 août 1894 en compagnie d’une vingtaine d’hommes, dont deux étaient travestis, et il fut cité lors du procès de Wilde. D’autres noms sont éloquents. Worthing, patronyme de Jack, est une ville où Wilde avait eu une liaison avec un adolescent de quinze ans, Alfonso Conway, dont les deux premières lettres (Al) sont les mêmes que celles d’Algernon. Dans une première version de la pièce, le même Algernon s’appelait lord Alfred Rufford, nom auquel Wilde renonça car l’allusion à lord Alfred Douglas était (trop) transparente. Enfin, le prénom de Cecily, alors prononcé Cicily et abrégé en Sissy, désigne en argot et sous cette dernière forme (« sissy ») un jeune homme efféminé. Comme Proust le fit plus tard avec le personnage d’Albertine, inspiré par son chauffeur Agostini dont il était passionnément amoureux, Wilde dissimule sous celui de Cecily un personnage masculin. Bien plus tard, ce parti fut celui d’Edward Albee dans Qui a peur de Virginia Woolf (1962) dont les quatre personnages étaient tous, à l’origine, des hommes.

Drôle de dame

(image extraite du site / blog : awildeanworld.blogspot.com )

Un second aspect de la stratégie de Wilde, après le cryptage fonctionnel de l’homosexualité, concerne la réévaluation des genres, masculin et féminin. Ce point de vue permet d’effectuer un glissement épistémologique passant d’une approche gay du texte à une démarche queer. Cela signifie qu’il n’est plus question de penser les catégories de « l’homme » et de « la femme » comme des essences naturelles, immuables ou transcendantales mais de critiquer les schémas de pensée binaires (homme/femme, homosexuel/hétérosexuel) de même que le concept de « vérité » appliqué aux sujets, aux identités et aux sexualités. Être « homme » ou « femme » n’est plus une donnée mais une invention, « tout sauf un destin, une nature, une triste obligation . » En remettant en question la naturalité du genre, la démarche queer montre que celui-ci n’est que le produit d’un discours. Loin de rechercher une stabilité définitive dans le genre, on ne verra plus en lui qu’« une fiction culturelle, un effet performatif d’actes réitérés, sans original ni essence .»

Un exemple éloquent est celui de Mrs Cheveley. Il n’est pas anodin, dans le contexte idéologique du temps, qu’elle ait passé de nombreuses années à Vienne. On sait que l’Autriche était en crise en cette fin de XIXe siècle et qu’à l’éclatement de l’empire des Habsbourg, qui se profilait, s’ajoutait une autre désintégration, plus effrayante encore, celle du « sujet ». Comme le souligne Élisabeth Badinter à propos des travaux de Freud, « [o]n ne parle même plus de sujet, mais de « Ça », de « Moi » et de « Surmoi » . » Ce que traverse alors l’homme autrichien est « une crise permanente d’identité », précise Jacques Le Rider, spécialiste de la modernité viennoise, qui insiste sur l’effroi que suscitait l’émancipation de la femme, son acquisition de droits et de pouvoirs étant censée produire « un homme dans un corps féminin, une virago ». Otto Weininger, qui publia en 1903 Sexe et caractère, exprimait ainsi ses craintes : « Il y a des époques […] où naissent plus de femmes masculines et plus d’hommes féminins. C’est précisément ce qui se produit aujourd’hui. L’extension qu’ont prise depuis quelques années à la fois le « dandysme » et l’homosexualité ne peut s’expliquer que par une féminisation généralisée . » Tous, philosophes, psychologues et scientifiques affichaient un antiféminisme d’une violence inouïe en n’aspirant qu’à une chose, la reconstitution d’une – mythique – polarité des rôles sexuels.

Mrs Cheveley, qui est le produit de ces mutations profondes, agit dans Un mari ideal à la façon d’un brûlot idéologique. C’est cette nouvelle femme qu’elle incarne et qui contribue à redéfinir les frontières entre les genres. De ce point de vue, son apparence est significative : « Elle fait penser quelque peu à une orchidée et sollicite vivement la curiosité . » La comparaison avec l’orchidée souligne certes l’association stéréotypée de la femme avec les fleurs. Toutefois, la comparaison est ambiguë : l’anatomie de l’orchidée (son bulbe, en particulier) rappelle celle du sexe de l’homme (« orkhis », en grec, signifie « testicule » – Wilde avait d’ailleurs surnommé « Orchid » son ami Charles Ricketts, compagnon de Charles Shannon) autant que celle du sexe de la femme, en raison de la chair et de l’ouverture de ses pétales.

L’apparence ne vaut rien sans la parole. Refusant la répartition traditionnelle des fonctions de production (l’homme) et de reproduction (la femme), Mrs Cheveley, qui n’a pas d’enfants, est associée au pouvoir politique et à la haute finance, ce qui implique que ses intérêts et son comportement sont « virils ». Ce trait de caractère se traduit au plan du discours par l’emploi du verbe « vouloir » lors de sa première confrontation avec sir Robert : « Je veux que vous retiriez le rapport que vous aviez l’intention de soumettre à la Chambre […]. Puis je veux que vous disiez quelques mots pour convaincre le gouvernement de revoir la question », martèle-t-elle. Si l’homme se considère comme l’unique détenteur autorisé du savoir, du pouvoir politique et de l’intelligence spéculative, Mrs Cheveley joue habilement sa partition pour affirmer sa puissance. Et si, au début de l’acte I, elle définit subtilement – pour endormir l’ennemi – la femme par l’irrationnel (donc par le « naturel »), elle met très vite en avant son acuité intellectuelle, c’est-à-dire sa « masculinité » : « J’ai tout de suite compris votre nature. Je vous ai analysé », lance-t-elle à sir Robert.
Face à elle, les hommes se défendent en reprenant les arguments des Viennois aux abois, quelques années plus tard synthétisés par Paul Julius Möbius dont le traité intitulé Sur l’imbécillité physiologique de la femme connut un vaste succès au point d’être réédité neuf fois de 1900, date de sa parution, à 1908 . Les propos de lord Caversham, plus poliment exprimés que ceux de Möbius, expriment des convictions comparables :

Lord Caversham : Monsieur, nulle femme, qu’elle soit jolie ou non, n’est douée du moindre bon sens. Le bon sens est le privilège de notre sexe.
Lord Goring : Tout à fait, père. Et nous, les hommes, faisons preuve d’une telle abnégation que nous n’en n’usons jamais, n’est-ce pas ?

Wilde renvoie ici dos à dos la « stupidité » de la femme et l’ « intelligence » de l’homme en laissant entendre que ni l’une ni l’autre ne sont vraies. Aussi la différence des sexes, à supposer qu’elle existe, se brouille-t-elle plus qu’elle ne s’affirme : si Mrs Cheveley est cérébrale, Chiltern est émotif. De même, lorsqu’elle dit à lady Chiltern qu’elle a trouvé son mari « réceptif à la raison », en ajoutant que c’est « chose rare chez un homme », elle se débarrasse des idées reçues sur les hommes en leur refusant ce qui est censé le mieux les définir : la raison. La même Mrs Cheveley, prête à payer Chiltern comme un client rémunère une prostituée, demande lord Goring en mariage, ce qui redistribue les rôles de l’homme et de la femme. De même, le parallélisme systématique des didascalies décrivant, à la fin de l’acte I, le désespoir de Chiltern et celui de son épouse à la fin de l’acte II contribue à nier, ou à brouiller, la distinction entre le masculin et le féminin, puisque leurs comportements sont interchangeables. Goring, de son côté, en dépeignant les hommes comme des godiches mal fagotées (« dowdies »), et les femmes comme des « dandies » intervertit les équations habituelles pour illustrer la vanité de la démarche définitoire : avec ce commentaire, il montre que les essences sont des formations de l’esprit et que seule compte la variabilité des points de vue. C’est pourquoi Wilde ne se contente pas de construire ses personnages : il les déconstruit également. Après avoir affiché une ambition démesurée, Mrs Cheveley est prête à renoncer à tout pour se marier, tout en affichant son mépris pour l’institution conjugale. Quant à Goring, qui est un dandy, il ne se comporte que partiellement en tant que tel puisque, abandonnant toute désinvolture vis-à-vis de la morale (qui est le comportement programmé de ce type de personnage), il défend l’idée chrétienne, éthique et non esthétique, du pardon nécessaire.

Trouble dans le genre

Rossetti 1877.

Des procédés comparables se retrouvent dans L’Importance d’être constant. Les filles y font des avances aux garçons, les hommes sont soumis à des événements qu’ils ne contrôlent pas, et les mères prennent les décisions. De ce point de vue, le commentaire de Gwendolen sur son père est éloquent :

En dehors du cercle familial, papa, je suis ravie de le dire, est un parfait inconnu. Et je crois que c’est très bien ainsi. Le foyer me paraît être le cadre idéal pour un homme. Et il ne fait pas de doute que dès qu’un homme se met à négliger ses devoirs domestiques, il devient péniblement efféminé, n’est-ce pas ? Et cela ne me plaît pas. Cela rend les hommes si séduisants .
Cette appréciation est l’inverse du discours convenu sur le rôle symbolique des hommes, censés se faire connaître dans le monde, y triompher et, surtout, ne jamais se cantonner à la vie domestique, « naturellement » réservée aux femmes. En outre, et de façon plus troublante, ce commentaire reprend, tel un décalque inversé, le discours réactionnaire des hommes sur les femmes. Si, dans les troisième et quatrième phrases, on remplace « homme » par « femme » et « efféminé » par « masculine », le jugement reprend à la lettre celui des adversaires des féministes. Cependant, l’appréciation de Gwendolen se brouille lorsqu’elle ajoute ce commentaire sur la séduction : « Cela rend les hommes si séduisants. » Si, premier paradoxe, le père gagne à être … inconnu, il est, second paradoxe, censé être d’autant plus séduisant qu’il est « efféminé ».

On peut s’interroger sur le point de vue de Gwendolen, qui serait plus celui d’un garçon homosexuel attiré par un homme « féminin » que celui d’une fille évoquant son propre père. La question est aussi de savoir ce qu’elle entend par « Et cela ne me plaît pas » : déplore-t-elle que son père soit « efféminé » ou, à l’inverse, qu’il ne le soit pas ou pas assez, puisque son charme, à l’en croire, vient de son caractère féminin ?
Le sentiment d’incertitude que provoque ce raisonnement a son importance : en posant comme principe que le désir est fait de tensions et de contradictions et que l’être même fait l’objet d’évaluations variables selon le point de vue choisi, il remet en cause la pétrification des comportements liés au sexe et au genre : en un mot, Gwendolen se pose en théoricienne queer avant la lettre. Ce faisant, elle fait aussi un geste politique, plus puissant que l’évidente satire sociale sur laquelle repose en partie la pièce, puisqu’elle conteste l’assise même du système patriarcal. De même, le sous-texte gay des comédies de Wilde ne s’entend pas simplement comme l’insertion en demi aveu d’événements et de désirs propres à l’auteur. En cette fin de XIXe siècle où la psychanalyse freudienne prend son essor, il agit à la manière d’un contenu latent, sous-jacent à un contenu manifeste dont il mine la prétention à tout signifier. Il donne également toute sa place au ça, pôle pulsionnel de la personnalité, face au surmoi, façonné par la conscience morale et la formation d’idéaux et d’idéologies.

Il existe donc un lien puissant entre la présence codée de la vie homosexuelle de Wilde et la réflexion sur le sujet : dans les deux cas, sont contestés les dispositifs, soutenus par la « morale », qui proposent des modèles identitaires immuables. Là est la modernité du dramaturge, qui questionne inlassablement les conceptions essentialistes de la subjectivité. Un autre titre pour une pièce de Wilde ? Des Genres sans importance.

Pascal Aquien
Université de Paris IV-Sorbonne

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Editions de l’Amandier / Théâtre.

Oscar Wilde avait laissé entendre que cette pièce de jeunesse mettait d’abord en scène une histoire d’amour entre Véra et le tsarévitch, alors que le but premier était d’anéantir le tsar et nécessairement tout ce que représentait son pouvoir. Effectivement, tout au long des quatre actes, il est aisé de voir percer l’affection grandissante que Véra éprouve pour cet homme, qui semble comprendre les souffrances et les revendications du peuple. Elle refusera non seulement de l’assassiner, mais ne le laissera pas non plus se suicider (c’est l’intention du jeune homme à la fin de la pièce) : c’est elle qui met fin à ses jours.

Le thème choisi par le jeune Wilde, les revendications énoncées (le problème de la famine, l’écrasement du pouvoir, l’impossibilité d’accéder et de penser le Beau etc.), tout renseigne sur les sympathies politiques, philosophiques et la ferveur qui le rendaient au moins solidaire avec ses contemporains russes.

A n’en pas douter, Oscar Wilde connaissait les réactions politiques et littéraires des nihilistes russes depuis les années 1860 avec les hauts faits d’un Netchaïev, les ouvrages des Pissarev et de Tchernychevski.

Le révolutionnaire Serguei Netchaiev, grande figure du mouvement des nihilistes russes des années 1860

Ces mouvements désespérés et contestataires intéressaient et plaisaient à Wilde, ceux-là même qui pousseront Nietzsche à réfléchir sur l’impasse de ce mouvement extrémiste dont le leitmotiv était « vivre libre, mourir jeune ». (Il élaborera en grande partie la théorie du surhomme à partir de ce qu’il considèrera être un échec philosophique et politique. Tout du moins une réaction et une prise de position limitées).

« Le jeune socialiste Wilde, avec ce drame historique situé dans la lointaine Russie, voulait écrire un hymne à la liberté, contre la tyrannie » écrit Marie Claire Pasquier . Mais il me semble amusant de rappeler que non seulement plusieurs « Véra » ont réellement existé , mais qu’en dehors de l’héroïne de Tchernychevski dans son « que faire ?» (qui se prénommait aussi Véra), il y eu une autre intellectuelle, connue dans ce mouvement révolutionnaire qui a rédigé sa propre autobiographie intitulée « une nihiliste ». Son vrai nom est Sophia Kovalevskaïa, mais elle emprunte également le prénom de Véra. C’est une jeune fille de général, féministe et mathématicienne qui finira (comme dans la pièce de Wilde) par délaisser les agitateurs de son époque dont les revendications lui semblaient limitées, au profit d’une histoire d’amour intense.

Il ne nous semble donc pas étonnant que Wilde ait choisi ce prénom, encore moins qu’il se soit inspiré de la nature effervescente, (romantique par certains aspects), mais surtout anti-autoritaire de ces femmes qui tenaient tête à toutes les injonctions politiques et morales de leur époque, pour décider de leur destin. Le jeune Wilde est impressionné par le caractère décidé et autoritaire de ces femmes, ce qui paraîtra contradictoire avec certaines invectives apparemment misogynes. Pourtant lorsque Wilde rédigera son essai sur L’âme de l’homme sous le socialisme, il s’adressera à tous, et attribuera même certains passages à la condition féminine de la fin du siècle qu’il déplore. En particulier leur absence de position sociale, et le carcan dans lequel le mariage les emprisonne.

Lorsque Wilde fait dire à Véra : « Mais nous les nihilistes, nous lui avons (au peuple) maintenant donné à manger de l’arbre de la connaissance et le temps des souffrances silencieuses a pris fin pour la Russie », On retrouve l’urgence de la culture, du travail de la raison et des savoirs à transmettre au peuple pour le sauver du joug des oppresseurs. Pour Wilde, éduquer, politiser le peuple, c’est la première des solutions à envisager pour que tous finissent par accéder à l’esthétique comme perfectionnement de l’âme humaine. Il attribue donc un rôle central aux êtres de savoir (philosophes, politiques socialistes ou libertaires, et artistes) pour aider la population inculte et démunie, afin qu’elle prenne conscience de l’emprisonnement éthique et économique dans lequel elle se trouve.

Oscar Wilde croit qu’il peut par la bonne volonté, sa culture et ses déterminations, transformer la vision du monde appauvrissant dans lequel se perdent ses congénères.
« Le temps des souffrances silencieuses a pris fin pour la Russie » fait-il dire à Véra. C’est une injonction forte. Wilde propose le cri, le bruit. Il envisage dans cette pièce, (mais il le fera dans ses conférences et dans ses actes toute sa vie), de montrer et de dire à voix haute, voire de mettre en scène ce qui ne peut plus se taire. La ruine des valeurs sur lesquelles s’est construite la Russie Tsariste, manifeste le vide de sens et l’absence de projet qui caractérise le peuple en révolte.

Dans la bouche de Véra, Dieu semble déjà mort, mais pas pour Wilde. Ce qui ne l’empêche nullement de prendre fait et cause pour les colères de tous les peuples opprimés, mais sa particularité est de sortir ses personnages d’un rôle essentiellement politisant, nihiliste ou utilitariste.
En effet, Véra se poignarde pour que le jeune Tsar –qu’elle a fini par aimer- ne le fasse. Et elle meurt en étant convaincue que son but était de « sauver la Russie ».
On pourrait se dire que Wilde jouit de l’improbable, mais ce serait sans intérêt. Ce qu’il faut retenir, c’est qu’il se refuse décidément à exclure la passion amoureuse, le geste romantique et la beauté de l’intention. L’auto-destruction, éventuellement, mais toujours pour le beau ou l’amour. Mourir pour le peuple lui paraît limité et insuffisant, même s’il admire Kropotkine, Stirner et les actes de foi libertaires jusqu’au désespoir.

Il y a une valeur au-dessus du strict politique et matériel, c’est l’arbre de la connaissance, et l’Art. Chez Wilde, c’est ce qui transforme une intention nihiliste en surhomme esthétique dirions-nous.

LOU FERREIRA

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La pièce et les comédiens connaissent un réel succès ! Voici trois autres photos -pardonnez ces clichés qu’un spectateur anonyme m’a fait parvenir-, mais l’ambiance donne le ton :

Rachilde (Hélène Laurca)

Alice Mirbeau (Marie Véronique Raban) et Edmond de Goncourt (Bernard Maltère)

Laurent Tailhade (Didier Morvan) et Rachilde (Hélène Laurca)

Voici la critique de Marie Ordinis, auteure, metteur en scène et comédienne dont j’espère faire la connaissance un jour !

sur son blog : lombre-doscar-wilde-de-lou-ferr…

et ci-dessous :

L’ombre d’Oscar Wilde de Lou Ferreira

En France c’est chez Octave Mirbeau esprit libre que la notion d’endoctrinement révolte et son épouse cette Alice ex-comédienne avec laquelle il entretient des relations complexes, que toutes sortes d’auteurs dont Gide et Jules Renard mais aussi Edmond de Goncourt sont accueillis en Avril 1895. Ce mois-là Oscar Wilde comparaissait devant une cour de justice anglaise pour y répondre de ses délits, à savoir sa liaison retentissante avec le fils du Marquis de Queensberry, et le fait qu’il n’ait pas voulu qu’on étouffe l’affaire. On connaît la suite.

Ici, chez Mirbeau, chacun de ces prestigieux hommes de lettres de générations différentes ainsi que leur consoeur Rachilde qui a reçu Wilde dans son fameux salon littéraire, viennent dire ce qu’ils ressentent à la nouvelle de ce procès inutile et infâmant : ils se concertent pour tenter d’organiser la défense d’Oscar. Ce faisant chacun parle aussi de lui-même, sans se raconter, et Lou Ferreira qui nous les fait redécouvrir nous les présente comme jamais les manuels de littérature n’ont su ou pu le faire. Une telle démarche fascine et vous guettez les répliques de chacun de ces littérateurs, hommes d’esprit généreux mais souvent plus que caustiques . Cela donne : « Comment peut-on être écrivain et rester fidèle ? » et dans un anglais parfait ( remerciements à Olivier Bruaux ) « happiness… and pleasure ? » .

La partition est éclatante, les comédiens la servent de façon brillantissime, dans des costumes et moustaches d’époque ; leurs déplacements sont parfaitement organisés. Cette fois encore la scène de la salle Laborey avec son grand escalier central est un lieu inspiré et inspirant.

Marie Ordinis.

LES DATES ET LA DISTRIBUTION :

MERCI A TOUS !

Lou FERREIRA

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L’esthète, l’esprit et les préoccupations du Dandy sont subtilement observés dans ce dessin de Massimiliano :

N’oubliez pas, entre deux ouvrages littéraires et philosophiques, de prendre le temps de visiter cette galerie inspirée de Massimiliano Mocchia Di Coggiola… : Disegni.html

Je salue sa belle épouse Sorrel au passage qui a participé avec lui et Stella Polaris aux sublimes séances de Photos de Louise Ebel, incarnant Hérodiade de « Salomé »… Je vous présente celle-ci :

lien : dr-sktechys-salome

Cette présence….

Lou Ferreira

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